Journées du patrimoine
La maison Lemoine à Floirac
Arrivés dans le patio on perd ses repères. Auparavant nous avons emprunté le chemin sous les faux acacias qui mène de la route à la maison. Une barrière automatique en règle l’accès, le signal rouge et blanc levé laisse le passage au promeneur. Le chemin descend dans le sous bois, il s’apparente à ce qui va suivre, il en devient presque le paradigme architectural. L’air de rien il semble très travaillé, les traces de passages des véhicules laissées sur les cailloux sont bordées par de la mousse et une herbe rase et rare mais tout semble comme si c’était là sans y faire attention, en toute discrétion.
Mais revenons aux cailloux du chemin. De la taille du poing d’un enfant ce ne sont ni du gravier ni des pierres, cela se rapproche du ballast des voies de chemin de fer – cela doit en être – ils sont relativement bien enfoncés dans le sol et les parties plus ou moins plates forment la bande de roulement du chemin. L’aspect nonchalant, impeccable (pas une plante autre que l’herbe rase et la mousse). Évidence naturelle du construit, de l’assemblage, des continuités, des superpositions, des ruptures, du matériau, l’âpreté du caillou de ballast, sa monotonie, ses arêtes contondantes adoucies par son affleurement dans le sol, enchâssés dans la mousse du sous-bois : la maison à son instar.
La maison fut envahie par une trentaine de personnes qui se déchaussèrent pour déambuler proprement. Ma première photo fut pour le tas de chaussures vue au travers de la paroi vitrée de la cuisine. Je me suis vite rendu compte que ce qu’il y avait à photographier ici c’était les gens. Les photographes en particulier. D’ailleurs je m’y suis aussi autoportraituré dans un coin de miroir.
On peut voir cette maison comme un théâtre où acteurs et spectateurs sont dans le même espace et sont interchangeables. Il y a de grands rideaux, un plateau escamotable, des fosses sans rambardes pour ne pas gêner le regard, des trappes. Les entrées verticales sont étroites, propices aux surgissements. L’escalier vers la chambre, en contre-jour, découpe les silhouettes qui disparaissent ou apparaissent sur la lumière du mur de verre du bureau. Des luminaires projecteurs ponctuent le séjour. L’absence de poteau, fenêtres, murs, produit cette vision panoramique sur le jardin quand on est dedans ou sur le séjour quand on est dans de jardin et milite pour une scénographie des lieux. Voire une scénarisation. Nous jouions notre rôle de photographe, visiteur, touriste, amateur d’architecture… Nous ne nous sommes pas applaudis avant de repartir.
Maison achevée en 1998 par Rem Koolhass